vendredi 30 janvier 2009

William Cliff, Immense existence (poésie)


IBIZA

sur la plage près de la mer
se trouve un homme qui regarde
le soir descendre les nuages
font un barrage à la lumière

couchante du soleil le monde
dans les cafés dans les maisons
gaiement se prépare à la nuit
les pêcheurs craignant la tempête

se sont réfugiés dans le port
les commerçants la mine grise
sous une lampe avare font
le compte de l'argent gagné

le vent froid passe sur la plage
et l'on ne sait où s'abriter
la brume couvre la montagne
la route du retour est longue

l'homme tremblant de froid regarde
pour voir si l'autobus arrive
mais rien ne vient sur la chaussée 
la nuit est de plus en plus noire

il voit des gens qui vont jeter
dans un bac leurs ordures d'autres
qui montent en auto et font
en partant voler la poussière

le magasin resté ouvert
ne reçoit guère de clients
(et personne d'autre ne vient
attendre ici avec cet homme

dont le corps frissonnant de froid
s'est appuyé contre la barre
de fer signalant que l'arrêt
à cet endroit est bien prévu)

enfin comme un mirage le bus
carré poudreux blafard se montre
le chauffeur (encore le même) est
fatigué les passagers peu

nombreux se taisent l'homme est seul
quand il descend au terminus
mais de revoir la ville lui
donne du bonheur car l'homme aime

voir d'autres hommes comme lui
partager sa condition d'homme


mercredi 28 janvier 2009

un grand oui à la librairie Wallonie-Bruxelles (Paris) et à Eliane Hubert, la gardienne de ce temple.


…des livres, partout, partout, partout, encore et encore…


Philippe Bazin, Les yeux fermés (vidéo), 2007

Philippe Bazin, Les yeux fermés, du 22/01 < 22/03 au Centre Régional de Photographie (Douchy-les-Mines)



Il faut aller voir et revoir les Visages-Paysages de Philippe Bazin, cet ancien médecin généraliste devenu photographe-vidéaste et qui poursuit, avec une obstination et une acuité particulières, un projet photographique sur les visages de ses contemporains – douceur et violence des nouveaux-nés, des vieillards, des fous, des adolescents saisis dans l'institution qui les encadrent, les enferment, les normalisent. 

Douceur et étrangeté de l'enfant qui dort sous le regard de sa mère et de la caméra de l'artiste. 

C'est du vivant qu'il est toujours question, de traces de vie, de visages marqués, de regards qui se posent sur nous.
C'est aussi l'histoire qui est interrogée. La petite et la grande histoire. 

lundi 26 janvier 2009



Essayer encore. 
Rater encore. Rater mieux.

Try again.
Fail again. Fail better.


Samuel Beckett


Samuel Beckett

Essayer encore.
Rater encore. Rater mieux.


Try again.
Fail again. Fail better.


Samuel Beckett

Rainer-Maria Rilke, Lettres à un jeune poète


pour toi,


"Une seule chose est nécessaire : la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne rencontrer, des heures durant, personne – c'est à cela qu'il faut parvenir. Etre seul comme un enfant est seul  quand les grandes personnes vont et viennent, mêlées à des choses qui semblent grandes à l'enfant et importantes du seul fait que les grandes personnes s'en affairent et que l'enfant ne comprend rien à ce qu'elles font.
[…]
S'il n'est pas de communion entre les hommes et vous,  essayez d'être prêt des choses : elles ne vous abandonneront pas. Il y a encore des nuits, il y a encore des vents qui agitent des arbres et courent sur les pays. Dans le monde des choses et celui des bêtes, tout est plein d'événements auxquels vous pouvez prendre part. Les enfants sont toujours comme l'enfant que vous fûtes : tristes et heureux ; et si vous pensez à votre enfance, vous revivez parmi eux, parmi les enfants secrets. Les grandes personnes ne sont rien, leur dignité ne répond à rien."

Rainer-Maria Rilke
23 décembre 1903


dimanche 25 janvier 2009

Erotiques, Paul Nougé, Didier Devillez éditeur



A une époque où le porno chic et pas cher envahit (non pas nos esprits et nos corps) nos écrans et les pages d'une (parfois) bien triste production littéraire, il faut relire de toute urgence les magnifiques textes érotiques d'un maître du genre… qu'on peut redécouvrir grâce au très beau travail de l'éditeur bruxellois Didier Devillez… 

"De Paul Nougé – non seulement la tête la plus forte (longtemps couplée avec Magritte) du surréalisme en Belgique, mais l'une des plus fortes de ce temps – que dirais-je encore ? Sinon (mais c'est toujours bien sûr la même chose) qu'on ne saurait mieux la définir – cette tête – que par les propriétés et vertus du quartz lydien, c'est-à-dire comme une sorte de pierre basaltique, noire, très dure, et dont tout ce qui est du bas or craint la touche.

Tout à fait irremplaçable, on le voit."

Francis Ponge



mercredi 21 janvier 2009

Le cœur est un chasseur solitaire, Carson Mac Cullers, traduit de l'anglais par Marie-Madeleine Fayet, éd. Stock, 1947



"Il y avait dans la ville deux muets que l'on voyait toujours ensemble. Chaque matin ils quittaient la maison qu'ils habitaient et descendaient la rue, bras dessus bras dessous, pour se rendre à leur travail. Les deux amis étaient très différents. Celui qui décidait toujours du chemin à prendre était un Grec obèse et rêveur. En été il portait une chemise polo verte ou jaune fourrée en désordre dans son pantalon par devant et pendant négligemment par derrière. Quand il faisait plus froid il mettait sur cette chemise un chandail gris informe. Sa figure était ronde et huileuse, ses lourdes paupières cachaient en partie ses yeux et un sourire doux et stupide lui entr'ouvait perpétuellement les lèvres. L'autre muet était grand : ses yeux vifs avaient une expression intelligente. Il était toujours d'une propreté scrupuleuse et habillé très sobrement."


mardi 20 janvier 2009

lundi 19 janvier 2009

Patrick Modiano, Dans le café de la jeunesse perdue, Gallimard, 2007


"Encore aujourd'hui, il m'arrive d'entendre, le soir, une voix qui m'appelle par mon prénom, dans la rue. Une voix rauque. Elle traîne un peu sur les syllabes et je la reconnais tout de suite : la voix de Louki. Je me retourne, mais il n'y a personne. Pas seulement le soir, mais au creux de ces après-midi d'été où vous ne savez plus très bien en quelle année vous êtes. Tout va recommencer comme avant. Les mêmes jours, les mêmes nuits, les mêmes lieux, les mêmes rencontres. L'Eternel retour."

Patrick Modiano

Terre Natale, Raymond Depardon, Paul Virilio


"Que reste-il du monde, de la terre natale, de l'histoire de la seule planète habitable aujourd'hui ?"
(Paul Virilio)

"Ecoutons ces gens, qu'ils soient Chipaya, Yanomami, Afar, écoutons ces gens, et donnons-leur un peu la parole afin qu'on puisse les entendre s'exprimer dans leur langue, avec leur façon de parler, leur expression du visage.
(Raymond Depardon)

mardi 13 janvier 2009

Oui à…

Oui à l'enfance, oui aux possibles, oui au quotidien, oui au mouvement, oui à la contemplation, oui à la grande santé, oui aux créateurs, oui à la solitude, oui à l'humanité de l'homme, oui à l'amour fou, oui à Antonin Artaud, oui la philosophie, oui la poésie, oui à la terre, oui à l'art, oui à l'incensé, oui à Alain Souchon, oui aux livres de Pascal Quignard, oui à toi mon amour, oui à Marilyn, oui à l'engagement, oui au goût du risque, oui à Barak Obama, oui au dernier jardin de Derek Jarman, oui à demain…

lundi 12 janvier 2009

La poésie est ce qui nous reste

Mahmoud Darwich, Murale (extraits)

Voici ton nom,
Dit une femme
Puis elle disparut dans la spirale du couloir.
(…)
Un jour je serai ce que je veux.

Un jour je serai une idée qu’aucun glaive ne porte
A la terre désolée, aucun livre …
Une idée pareille à la pluie sur une montagne
Fendue par la pousse d’un brin d’herbe.
Et la force n’aura pas gagné,
Ni la justice fugitive.

Un jour je serai ce que je veux.

Un jour je serai oiseau et, de mon néant,
Je puiserai mon existence. Chaque fois que mes ailes se consument,
Je me rapproche de la vérité et je renais des cendres.
Je suis le dialogue des rêveurs.
J’ai renoncé à mon corps et à mon âme
Pour accomplir mon premier voyage au sens,
Mais il me consuma et disparut.
Je suis l’absence. Je suis le céleste
Pourchassé.

Un jour je serai ce que je veux.

Un jour je serais poète
Et l’eau se soumettra à ma clairvoyance.
Métaphore de la métaphore que ma langue
Car je ne dis ni n’indique
Un lieu. Et le lieu est mon péché et mon alibi.
Je suis de là-bas.
Mon ici bondit de mes pas vers mon imagination …
Je suis qui je fus, qui je serai
Et l’espace infini me façonne, puis me tue.

(…)

Un jour je serai ce que je veux.

Voici ton nom,
Dit une femme
Puis elle disparut dans le couloir de sa blancheur.
Voici ton nom. Retiens-le bien !
Ne vous chamaillez pas pour une lettre
Et ne te soucie pas des bannières des tribus.
Sois l’ami de ton nom horizontal,
Teste-le sur les vivants et les morts,
Entraîne-le à la bonne diction en compagnie des étrangers,
Trace-le sur une paroi de la caverne.
O mon nom : tu grandiras quand je grandirai,
Tu me porteras et je te porterai,
Car l’étranger est un frère pour l’étranger.
Nous capturerons la femelle avec la voyelle longue dévolue aux flûtes.
O mon nom : où sommes-nous à présent ?
Dis ! Qu’est aujourd’hui ? Qu’est demain ?
Qu’est le temps, le lieu,
L’ancien, le nouveau ?

Un jour nous serons ce que nous voulons.

Le voyage n’a pas commencé, le chemin n’a pas abouti,
Les sages n’ont pas atteint leur exil
Ni les exilés, leur sagesse.
Des fleurs, nous n’avons connu que les coquelicots.
Montons donc au plus haut des fresques :
Verte est la terre de mon poème, haut,
Parole de Dieu à l’aube que la terre de mon poème
Et je suis le lointain,
Le lointain.

Dans chaque vent une femme se joue de son poète :
– Emprunte la direction que tu m’as offerte,
La direction qui s’est brisée,
Et rends-moi ma féminité
Car il ne me reste que la contemplation
Des rides du lac. Déleste-moi de mon lendemain,
Rends-moi le passé et laisse-nous, seuls, ensemble.
Rien, après toi, qui parte
Ou revienne.

– Reprends le poème si tu le désires.
Je n’ai que toi en lui.
Reprends ton moi. J’achèverai l’exil
Avec ce que tes mains ont laissé de lettres aux mouettes.
Qui de nous eux est moi, que je sois sa fin ?
Une étoile tombera entre l’écrit et le dit
Et le souvenir confiera ses pensées : Nous sommes nés
Aux temps de l’épée et de la flûte,
Entre figues et figuiers de Barbarie. La mort était plus lente.
Elle était plus nette. Elle était une trêve pour les passants
A l’embouchure du fleuve.
Désormais tout est machinal.
Aucun assassin ne prête l’oreille aux victimes,
Nul martyr ne donne lecture de son testament.

(…)

Le temps est zéro. Je n’ai pas pensé à la naissance
Lorsque la mort m’emporta dans le chaos.
Je n’étais ni vivant ni mort
Et il n’y avait ni néant ni existence.

Mon infirmière dit : Votre état s’améliore.
Puis elle m’injecte un calmant. Restez calme,
Digne de ce dont vous rêvez
Sous peu …

J’ai vu mon médecin français
Ouvrir la porte de ma cellule et,
Aidé par deux policiers de banlieue,
Me frapper avec un bâton.

J’ai vu mon père revenu
Evanoui du pèlerinage,
Victime d’un coup de soleil hijazien,
Dire à une volée d’anges l’entourant :
Eteignez-moi !

J’ai vu des jeunes Maghrébins
Jouer au ballon
Et me lancer des pierres : Repars, et ton Verbe,
Et laisse-nous notre mère,
O père qui t’es trompé de cimetière !

J’ai vu René Char
En compagnie de Heidegger
Je les ai vus
A deux mètres de moi,
Boire du vin
Sans quête de poésie …
Leur dialogue était un fil de lumière
Et un lendemain fugace patientait.

J’ai vu mes trois compagnons se lamenter
Tandis
Qu’ils me cousaient un linceul
Avec des fils d’or.

(…)

J’ai vu des pays m’enlacer
De leurs bras matinaux : Sois
Digne de l’odeur du pain,
Que les fleurs du trottoir t’aillent bien,
Car l’âtre de ta mère brûle toujours
Et le salut est encore chaud comme le pain !

Verte, verte la terre de mon poème. Un seul fleuve suffit pour que je murmure au papillon : O mon frère. Un seul fleuve suffit pour soudoyer les légendes anciennes, qu’elles demeurent sur l’aile du faucon lorsqu’il remplace bannières et sommets lointains, là où les armées ont édifiés les royaumes de l’oubli à mon intention. Aucun peuple n’est plus petit que son poème. Mais les armes élargissent encore les mots à l’attention des vivants et des morts qui les habitent, les lettres font briller le glaive à la ceinture de l’aube et le désert manque de chansons ou en déborde.

Aucune vie ne suffit pour que je tire ma fin à mon commencement.
Les pâtres ont emporté mon histoire et se sont enfoncés dans la végétation qui recouvre les attraits des vestiges. Ils ont vaincu l’oubli par les trompes et la prose rimée indivise. Ils m’ont légué la raucité du souvenir sur la pierre de l’adieu et ne sont pas revenus …

(…)

Qui es-tu, mon moi ?
Nous sommes deux sur le chemin
Et un, dans la résurrection.
Emporte-moi vers la lumière de l’anéantissement,
Que je voie mon devenir dans mon autre image.
Qui serai-je après toi, mon moi ?
Mon corps est-il derrière moi ou devant moi ?
Qui suis-je, ô toi ?
Fais-moi comme je t’ai fait,
Enduis-moi de l’huile d’amande,
Ceins-moi de la couronne de cèdre
Et porte-moi de la vallée vers une éternité
Blanche.
Enseigne-moi la vie à ta manière.
Eprouve-moi, atome dans le monde céleste.
Aide-moi contre l’ennui de l’éternité et sois clément,
Lorsque me blessent et pointent de mes veines
Les roses …

(…)

Chaque foi que je me suis retourné sur la première des chansons,
J’ai vu les traces de la gélinotte sur les mots.
Je ne fus pas un enfant heureux
Pour dire : Hier est toujours plus beau.
Mais le souvenir possède deux mains légères qui enfièvrent la terre.
Le souvenir a les parfums d’une fleur nocturne qui pleure
Et, dans le sang de l’exilé, réveille son besoin de déclamer :
" Sois le comble de ma tristesse et je trouverai mon temps … "
Et je n’ai besoin que d’un battement de mouette pour suivre
Les vaisseaux anciens.
Quel est le temps passé depuis notre découverte de ces jumeaux :
Le temps et la mort naturelle synonyme de vie ?
Et nous vivons toujours comme si la mort ne nous atteignait pas
Doués de mémoire,
Nous pouvons nous libérer sur les pas verts de Gilgamesh
Allant d’un temps à un autre temps …

(…)

Ce nom m’appartient …
Et il appartient à mes amis, où qu’ils se trouvent.
Et mon corps passager, présent ou absent, m’appartient …
Deux mètres de cette tourbe suffiront désormais …
Un mètre et soixante-quinze centimètres pour moi …
Et le reste, pour des fleurs aux couleurs désordonnées
Qui me boiront lentement. Et m’appartenait
Ce qui m’appartenait, mon passé, et ce qui m’appartiendra,
Mon lendemain lointain et le retour de l’âme prodigue.
Comme si rien n’avait été.
Comme si rien n’avait été.
Rien qu’une blessure légère au bras du présent absurde …
Et l’Histoire se rit de ses victimes
Et de ses héros …
Elle leur jette un regard et passe …
Cette mer m’appartient.
Cet air humide m’appartient.
Et mon nom,
Quand bien même je prononcerais mal mon nom gravé sur le cercueil,
Mon nom m’appartient.
Mais moi, désormais plein
De toutes les raisons du départ, moi,
Je ne m’appartiens pas,
Je ne m’appartiens pas,
Je ne m’appartiens pas …

dimanche 11 janvier 2009

Antonin Artaud, Autoportrait, 1946

la paix EST possible

le 11 janvier 2009

A Bruxelles, la neige, le froid… et la chaleur de la maison, la douceur, les projets, les amis, les enfants qui grandissent, l'amour, l'abondance…

A Gaza, les bombes, le bruit, la privation, la mort, la peur, l'enfermement, la folie de l'homme, l'ennemi.

C'est trop. La paix reste possible.